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1963-2021: l’aventure de DP 2/3

Indépendant, différent, réformiste

De 1963 à 2021, DP est un journal modeste par sa taille, soucieux de ne jamais vivre au-dessus de ses moyens, mais ambitieux dans sa volonté de nourrir le débat socio-politique et culturel dans les cantons francophones et en Suisse, par delà les clivages linguistiques, avec ses analyses, ses commentaires et les informations qu’il répercute.

Bien que la plupart de ses collaboratrices et collaborateurs soient engagés socialement et politiquement, d’abord au sein du parti socialiste puis également des Verts - mais pas seulement, des plumes de droite voire de la gauche de la gauche pourvu qu’elle soit démocratique y ont également contribué - ce n’est pas l’expression d’un courant, d’une tendance (comme l’est par exemple explicitement Pages de gauche, fondé en 2001). Si des élues et élus sont issus de DP, cela n’a jamais été l’objectif du journal qui n’a pas manqué d’exercer son indépendance critique par rapport aux partis.

Ce n’est pas non plus une publication à vocation principalement journalistique comme l’a été le magazine Tout Va Bien de 1972 à 1983, mais un lieu de documentation, de réflexion et d’échange entre militantes et militants, élues, élus et fonctionnaires attachés à la chose publique prenant le temps du recul et universitaires désireux partager leurs recherches. D’où aussi un abord sérieux voire austère qui requiert un effort tant des collaboratrices et collaborateurs que des lectrices et lecteurs...

Le manifeste

Exercice obligé, l’intention exprimée dans le premier numéro n’a pas pris une ride et a pu servir de viatique pendant six décennies:

Imagination, description et extrémisme

A moins d’être satisfait du régime en place(s), à qui nous devons, certes et merci! «notre» prospérité helvétique, à moins d’avoir l’âme d’un gestionnaire, l’exercice de la pensée politique devient difficile. Jamais autant, dans les mouvements au passé révolutionnaire, n’a été célébrée l’action des pionniers. Elle mérite à juste titre d’être rappelée et enseignée. Mais on aime aussi à la revendiquer comme un héritage, dont on se pare faute de faire mieux!

C’est qu’aujourd’hui la revendication politique n’a plus cette pureté morale du temps où la richesse du riche était pain arraché de la bouche du pauvre. Les riches s’enrichissent sans mauvaise honte; le détournement des richesses collectives est devenu moins apparent. Les masses se laissent dépolitiser, la lutte des classes s’estompe.

Alors comment agir, avec quel levier, quel point d’appui, et puis vouloir quoi? On ne monte pas sur les barricades réclamer le frigidaire pour tous! Question posée dans tous les pays de haut niveau de vie: on cherche des solutions souvent dans la confusion et le verbalisme. Mais tout ce travail de défrichement est utile.

A notre échelle, nous allons y participer de notre mieux.

C’est-à-dire:

Imagination: Il n’y a pas d’explication qui tienne en un seul mot, même néo-capitalisme, n’en déplaise, tout utile qu’est la formule.

Il faut faire appel à toute la diversité des recherches des sciences humaines pour essayer d’analyser les mécanismes de cette société moderne qui ne s’intéresse plus aux seuls comportements politiques et économiques de l’individu, mais qui le poursuit, le met en condition et le commercialise jusque dans ses loisirs et ses rêves.

Description: Demandez à quiconque s’intéresse aux affaires publiques des renseignements sur les groupes de pression de ce pays, sur les hommes qui les animent, sur les moyens dont ils disposent:

Qui, derrière les grandes banques commerciales?

Qui, derrière les industries d’exportation?

Qui, derrière les intérêts immobiliers?

Ignorance totale. Le mécanisme même du pouvoir échappe à la plupart de nos concitoyens. D’où une certaine inefficacité politique.

Toute description dans ce pays a une valeur critique. Chaque fois que l’occasion se présente, il faut dire qui est qui. Il serait d’ailleurs naïf de s’imaginer lever des scandales à chaque page. Le pays est petit, administrativement sérieux. Mais on y a plus qu’ailleurs le goût du confidentiel, le sens du secret des affaires.

Ombres et persiennes closes. La première tâche démocratique, c’est donc de faire tomber ce «confidentialisme» dans le domaine public.

Extrémisme: Sur des points majeurs, les objectifs d’une action à court terme sont connus: aménagement du territoire, politique de l’habitat, éducation permanente, sécurité sociale, planification.

Idées galvaudées avant même d’être réalisées. Là, la politique à suivre est simple. Ces lieux communs des programmes électoraux sont, en fait, les pierres d’achoppement du régime. Il faut de manière directe, incessante, extrémiste, réclamer leur réalisation. Là, il ne s’agit pas d’imagination, mais d’énergie, celle qu’il faut pour taper sur les clous et parfois à côté sur les doigts.

Imagination dans la recherche, description des mécanismes réels, extrémisme dans la mise en place des idées prétendument reçues:

«Domaine public»

Extrémisme est à prendre ici comme synonyme de radicalité, dont l’adjectif est malencontreusement galvaudé par le parti qui porte ce nom. A l’inverse, on ne trouve pas dans ce texte (mais souvent dans la collection) les deux mots auxquels DP est sans doute le plus identifié: réformisme et modernité, au sens où les incarnaient un Pierre Mendès France ou un Michel Rocard. Plus que social-libéral, le melting pot de DP combinerait plutôt le réalisme de la social-démocratie (radicale, donc) et les intuitions du socialisme utopique et du personnalisme, avec un intérêt constant pour des penseurs comme André Gorz ou Ivan Illich.

Quelques numéros et numéros spéciaux ont plus particulièrement évoqué le positionnement original de DP:

Numéro 1, 31 octobre 1963: lancement de DP comme bimensuel

DP 168, 3 mars 1972 (passage à la parution hebdomadaire)

DP 1183, 22 septembre 1994: Passions (à l’occasion du 70e anniversaire d’André Gavillet)

DP 1715, 22 décembre 2006: le dernier numéro imprimé et envoyé par la Poste, avant passage à l’édition numérique à impression facultative

DP 2016a, 30 novembre 2013: L’avenir depuis 50 ans avec DP (numéro spécial anniversaire)

DP 2052, 29 septembre 2014: L’empreinte d’André Gavillet (1924-2014)

DP 2331, 24 juin 2021, l’ultime numéro… Il comprend également une liste des personnes qui ont collaboré à DP depuis 1998 (début de la numérisation individuelle des articles tels qu’ils étaient accessibles sur le site du journal jusqu’à sa disparition, à côté des numéros en PDF)